Ecrire la douleur, vocaliser ses pensées

Voici un atelier réalisé dans le cadre du DU « Ecriture créative et métiers de la rédaction » de Cergy-Pontoise.

Assise sur le bord du lit, je me lève doucement pour tenter de m’habiller. La fatigue et la douleur m’accompagnent déjà depuis plusieurs heures mais je sais que ce que je vais vivre va m’apporter répit et réconfort.

Je me dirige dans le couloir non sans difficultés, l’équipe médicale semble s’affoler. Face à cette agitation, j’ai l’impression que mes oreilles se bouchent, j’entends mal autour de moi mais les mots « transfert », « Grenoble », « Lyon », s’échappent des conversations. La panique s’empare de moi, je comprends qu’il y a un sérieux problème mais je refuse d’y croire.

On vient m’aider à marcher lorsque mon regard se pose sur ce petit être, allongé, encerclé par les blouses blanches. C’est alors que je quitte cet espace de vie le temps de quelques secondes, où suis-je ? Je ne sais pas. Certainement dans un écrin de nature là où j’aime être quand ça ne va pas. Je fouille dans ma tête pour comprendre. Je tente de me rappeler ce travail fastidieux mais j’ai énormément de mal. C’est pourtant un évènement de ma vie qui s’est déroulé il y a à peine 24h mais malgré cela, l’exercice est difficile. Comme quoi, le corps et l’esprit font le tri rapidement dans ce qui est bon à garder ou à jeter. Les questions fusent et quelque part je cherche à trouver un coupable afin de donner un sens à tout ça.

On me demande de m’asseoir, je reste là ; à ressasser tout et n’importe quoi. Je ne suis plus dans le moment présent et je suis incapable de regarder mon enfant prêt à être transféré en hélicoptère. J’ai moi aussi été transférée mais dans un autre univers, un univers sombre où l’esprit semble peiner à trouver du repos.

[Suite]

Je reprends mes esprits en attendant le taxi puisqu’il m’est impossible de monter dans l’hélicoptère. En mode « Robocop », je m’installe pour un nouveau voyage bien réel cette fois, direction Saint-Etienne. La destination ne vend pas du rêve mais c’est le chemin qui importe paraît-il. Durant le trajet, pas le temps de penser, le chauffeur parle et ça m’arrange bien, je ne suis pas seule face à ce néant qui s’est invité dans ma vie en quelques secondes.

L’arrivée est rassurante, l’hôpital constitue un pôle mère-enfant, la spécialisation me conforte dans ma bulle, ce qui me laisse le temps de faire un aller-retour rapide mental. Je scanne ma carte virtuelle et me dirige vers le Col de Vassieux, proche de chez moi. De là-haut, à 1333 m d’altitude, j’ai une vue d’ensemble sur le Diois. J’imagine les crêtes cachées derrière la forêt et cette vue à 360° dévoilant les hauts plateaux du Vercors. C’est une véritable bouffée d’air frais qui me permet de gagner en réassurance.

On m’installe dans une chambre pas bien réconfortante. Ne m’y sentant pas à mon aise, je décide de ne pas m’attarder. J’avale rapidement ces horribles œufs en poudre servis presque quotidiennement lorsqu’on coche la cache « végétarien » et j’appuie sur la petite télécommande blanche et rouge pour appeler une sage-femme.

Dans la soirée, on me propose un fauteuil roulant pour palier au problème « Robocop » et une sage-femme me descend en réanimation néonatale. Situé quelques étages plus bas, j’ai l’impression de descendre six pieds sous terre, sensation exacerbée par la gravité de la situation. Brrr, ça fait froid dans le dos. Blouse, masque, nettoyage minutieux des mains et j’entre dans ce nouvel univers qui semble complètement hors du temps. Jour et nuit se succèdent des femmes qui se battent pour la survie de bébés prématurés. Sous couveuse ou sur lit chauffant, ces petits êtres enfermés hermétiquement pour certains; sont chéris, surveillés sans cesse. Les courbes et autres indices cardiaques émettent parfois quelques tonalités composant une musique propre à ce lieu. Observer discrètement les infirmières pour ne pas interférer avec l’intimité des cocons m’émeut et me réconforte car je vois une équipe avant tout humaine et impliquée. En plus d’un quotidien très chargé, elles prennent le temps de réconforter les cœurs brisés et les âmes perdues. A leur manière, elles réparent les gens, aussi bien ceux qui n’ont pas encore commencer leur vie, que ceux qui devaient en commencer une nouvelle. Si j’arrive plus ou moins à encaisser cette image de mon enfant, branché et intubé, c’est grâce à toutes ces femmes, à cette sensation de bien-être qu’elles renvoient comme une bonne dose de morphine. Malgré cela, les larmes s’invitent parfois et coulent à flot. Les hormones n’arrangent pas la situation et transforment mon cœur en un gros chamallow.

De retour dans ma chambre, je tourne en rond et j’essaye de me reposer, en vain. La nuit est rythmée par les pleurs de bébés voisins, ce qui me transperce un peu plus le cœur et me ramène sans cesse à ma situation présente. Je suis seule dans une chambre « mère / enfant », le comble.

Comme la nuit en plein mois de novembre, les pensées sombres tombent sans prévenir et la nouvelle question du « Pourquoi, Comment ? » revient me taquiner comme des piqûres de rappel. La chambre représente à elle seule cet univers neurasthénique que je cherche à fuir, comme une mise en abyme. Je suis dans une chambre d’hôpital qui me transporte dans cette même chambre. Un véritable huit clos avec moi-même. Bienvenue dans l’antichambre du chaos, quel casse-tête ! D’ailleurs, même le personnel semble différent de celui de l’étage sous-terrain. J’ai l’impression d’être dans Inception(1). Je me dis qu’il est peut-être possible d’implanter une nouvelle idée dans ce rêve éveillé et de devenir moi-même l’architecte de ce dédale cauchemardesque ?

Puisque je suis en tête avec moi-même… Concentre-toi, concentre-toi. Je ferme les yeux avant de poser une petite graine dans ma tête, qui je l’espère évitera les allers-retours incessants entre cette chambre d’hôpital et mon petit coin de montagne.

Pour que cette graine puisse s’épanouir, il faut la nourrir et lui apporter toute la lumière nécessaire. Et pour cela, il est temps de quitter cet espace. A ce moment-là, j’arrive à sortir mentalement de cette chambre et décide de me tourner vers la lumière, à savoir, les infirmières-anges de la réanimation situées six pieds sous terre.

Ayant repéré les couloirs et étages lors de ma première traversée en fauteuil, je décide d’y aller seule. Il est tard ou tôt le matin et je ne veux pas déranger.

De retour dans le cocon chaud de la réanimation néonatale, je discute un peu, pique du nez au-dessus du lit chauffant de mon enfant quand me revoilà dans cet espace apaisé où forêt, crêtes et vue surplombante s’invitent. Cette fois, je prends plus de temps pour m’imprégner de ce lieu que je connais par cœur. Le temps, j’en ai puisqu’il semble s’arrêter ici. Je décide alors de rester entre montagne et service de réanimation néonatale le temps qu’il me faut avant de retourner affronter mes démons qui m’attendent bien sagement dans ce lit d’hôpital.

Elsa

Articles recommandés

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *